mardi 30 décembre 2008

R.I.P. Mamick

Mamick, petite mère en breton, ma grand-mère, est née un beau matin dans un berceau de bois un jour de janvier 1915, non loin de la Gare Montparnasse, entre deux tirs de la Grosse Berta. Sa mère, promise à un avenir agricole dans la ferme familiale, avait préféré monter à Paris pour y embrasser la carrière d'infirmière quelques années plus tôt. C'est là qu'elle y rencontra son mari. Mon arrière-grand-père, charpentier en fer (qui a participé à la construction de la Tour Eiffel)(à l'époque, ça devait en jeter, mieux que le coup de la dune !), était parti de chez lui à l'âge de 12 ans pour découvrir le monde... l'Islande, plus précisément, comme petit mousse, à bord d'une goélette.

Ma grand-mère, donc, a grandi dans ce petit village qu'on appelle Vaugirard, entre les jardins de l'hôpital Necker et la cité Falguière. Elle y coule des jours heureux, au cœur des années folles, souvent gardée par son grand frère de 10 ans son néné ainé (et qui préférait jouer au foot avec ses potes sur le boulevard Pasteur, en la coinçant entre deux bancs)(comme ça, elle ne bougeait pas), jusqu'à ce que sa mère décède des suites d'un cancer du sein fulgurant. Elle a alors 10 ans. Elle se retrouve seule avec son père, qui ne sait pas trop quoi faire de cette gamine un peu turbulente. C'est donc sa tante maternelle qui la recueille. Cette dernière, demoiselle des postes et célibataire endeuillée par la mort de son fiancé au champ d'honneur de la Grande Guerre, s'est jetée corps et âme dans l'éducation de sa nièce. Bonnes manières, certificat d'étude, brevet supérieur (l'entrée au lycée étant trop honnéreuse), une mauvaise gestion du deuil, et l'entrée à l'Ecole Normale des Instituteurs.
Ascenseur social. Bonne à marier.

Nous sommes en 1936. La future Mamick rencontre le futur Papick (petit père en breton), ingénieur des Arts et Métiers et meilleur copain du cousin (son frère de lait, comme elle disait, car presque élevés ensemble au moment du décès de leur mère respective)(oui, les 2 sœurs ont succombé à un cancer à quelques mois d'intervalle...). Ils se marient en août, et s'offrent pendant les premiers congés payés de Front Populaire un voyage de noce atypique : les châteaux de la Loire en vélo (mon grand-père étant un fan de vélo, tu l'auras compris).
Les années passent tranquillement. Une première fille. La guerre. Un garçon. L'occupation. Mon grand-père obligé de rejoindre la zone libre avec son entreprise. L'enseignement. La libération. Mon grand-père malade. La naissance de ma mère... un bébé surprise d'avant ménopause. L'enseignement "adapté" (l'équivalent des SEGPA d'aujourd'hui).
Puis mai 68, l'adolescence tumultueuse de ma mère, les premiers petits-enfants (mes cousins), la retraite et le retour à la terre bretonne dans la maison familiale.
Et enfin, moi, qui entre dans le monde 9 mois après la dernière révérence de mon grand-père.
Le 2 janvier, ça fera 30 ans.

Le 4 janvier, ça fera un an que Mamick, ma grand-mère, n'est plus là, qu'elle est partie rejoindre l'amour de sa vie, quelque part...
Un an qu'elle n'est plus là pour me dire s'il a fait beau en Bretagne nord, si les hortensias du jardin ont fleuri, si un petit rossignol est venu chanter à sa fenêtre.
Autant te dire que là, juste de l'écrire, je n'en mène pas large. Elle me manque, nos conversations, ses souvenirs que j'ai fini par connaître par cœur, ses poèmes et ses chansons préférés, ses maximes-rengaines qui m'exaspéraient, son soutien, son amour, ses conseils, son émerveillement permanent face aux nouvelles technologies...
Je sais que la coup de calgon va passer, vu que mon inconscient travaille pour moi depuis 30 ans à la même époque. Je ne pourrai pas combler le manque, mais la vie continue. Je garde les souvenirs, les apprentissages, les découvertes... la lecture, le jardinage, la littérature, le breton, et même les beuveries (chaque été, nous fêtions toutes les deux son anniversaire de mariage avec une bonne bouteille volée au presbytère gagnée à la kermesse du curé village !).

Voilà.
Presqu'un siècle d'histoire familiale pour un vibrant hommage.
Ça me tenait à cœur de t'en parler, car cette femme-là, ma grand-mère, m'a beaucoup transmis... et pas que ses névroses. Elle m'a transmis son goût pour l'enseignement, pour la transmission de savoir et de savoir-faire.
Juste, elle a oublié la partie gestion du deuil.
Et là, j'ai encore un peu de mal.
Heureusement, les amiEs sont là, et ça fait du bien !



PS : je cherche un poème qui dirait, à la fin, "ne pleurez pas, je suis juste là, de l'autre côté du miroir"... c'est le poème que ma grand-mère a fait lire par son auxiliaire de vie au moment de son inhumation.

2 commentaires:

ZeStE a dit…

sacrée histoire, joli hommage...

Kanou a dit…

Ouep... hem... bon... une amie a retrouvé le poème, j'vous le mets.


NE PLEUREZ PAS
Ne pleurez pas si vous m'aimez.
La mort n’est rien.
Je suis seulement passé dans la pièce à coté.

Je suis moi, vous êtes vous.
Ce que nous étions les uns pour les autres, nous le sommes toujours.
Donnez-moi le nom que vous m’avez toujours donné.
Parlez-moi comme vous l’avez toujours fait.
N’employez pas un ton différent, ne prenez pas un air solennel ou triste.
Continuez à rire de ce qui nous faisait rire ensemble.
Riez, souriez, pensez à moi, priez pour moi.
Que mon nom soit prononcé comme il l’a toujours été, sans emphase d’aucune sorte, sans une trace d’ombre.

La vie signifie tout ce qu’elle a toujours signifié.
Elle est ce qu’elle a toujours été.

Le fil n’est pas coupé.
Pourquoi serais-je hors de votre pensée parce que je suis hors de votre vue ?

Je vous attends.
Je ne suis pas loin, juste de l’autre côté du chemin.
Vous voyez, tout est bien.


Bon. Alors un coup c'est de Saint-Augustin, un coup c'est de Charles Péguy... et en faisant quelques recherches, il s'agirait en fait d'un sermon du chanoine Henry Scott-Holland (1847-1918) prononcé à St Paul's Cathedral en 1910 pendant l'exposition du corps du roi Edouard VII à Westminster.
Cela dit, Augustin d'Hippone (354-430) est le plus vieux... Charles Péguy n'aurait donc fait "que" traduire le texte que Scott-Holland aurait déjà piqué à Saint Augustin...voilà, c'est dit !