mardi 13 mai 2008

Les messagers

Pour paraphraser Alice dans The L Word, je suis une "gold butch", ma femme aussi. Ce qui signifie que nous n'avons jamais eu de rapports sexués avec un homme. Je ne m'en flatte pas, ni ne m'en défends, c'est ainsi.

J'ai bien embrassé mon meilleur ami, il y a quelques années, mais c'était parce que lui était gay et moi lesbienne et qu'on voulait quand même être surs que bon, on faisait pas une connerie. On a jamais osé mettre la langue et on s'est dit que ouais, c'était pas notre truc (enfin, lui, il a fini par se marier avec une fille...mais je le soupçonne d'avoir eu quelques amants...).

Cependant, j'ai eu de très forts sentiments pour quelques hommes. Olivier, que j'ai aimé comme un frère, Ivan qui était mon jumeau et mon ange gardien, Yohann qui était le plus tendre des amis, Baptiste qui m'a fait découvrir tant de choses, Steeve, toujours en décalage horaire, Fredo qui change de mari comme de slip (quoique là, ça doit faire six ans qu'il porte le même caleçon...), Charlie, pour qui j'éprouve une immense tendresse. Bref, des gars biens.

Dans le lot, un seul était hétéro, mais je vous jure que je ne l'ai pas fait exprès. Il n'est plus de ce monde, abattu par une saloperie qu'on guérit très bien aujourd'hui. C'est ainsi. Dans le lot, également, un d'entre eux n'est plus là pour savoir que je suis devenue une femme moderne et que j'écris dans un blog. Beaucoup d'autres l'ont suivi et même si je n'avais pas la même complicité avec eux, j'espère qu'au Paradis, il y a une connexion Wifi. Un d'entre eux est aussi en train de nous quitter, pour les mêmes raisons, la même bêtise, le même oubli. Et là, pour une seule fois, je vais me permettre d'être grossière, parce que putain ça fait mal, sortez couverts bordel, faites ce que vous voulez de votre cul, de votre fouf' et de votre zgeg mais, sortez couverts !

Mais ce n'est qu'une pâle introduction à mon sujet, ce dont je voulais vous faire part, c'est de mon expérience associative.

La première fois que je me suis engagée dans une association, c'était AIDES. On me piquait mes potes, j'étais piquée à vif et prête à changer le monde et les mentalités pour prolonger la vie. Comme j'avais plutôt un bon contact avec les gamins, on m'a envoyée leur raconter des histoires dans des hôpitaux. Seulement, je n'étais pas foutue de ne pas m'attacher, les voir malades me bousillait, alors j'ai arrêté. J'ai pris conscience une fois de plus de mes limites. Et puis, j'ai tâté la prévention. Les journées dans les collèges et les lycées à présenter avec fierté et humour mon beau manège de quequettes. A expliquer comment pincer un réservoir, ouvrir le petit sachet sans esquinter son contenu, dérouler la capote sur le bestiaud avec doigté. Un vrai boulot de lesbienne quoi !
Plus tard, lors d'une de mes prestations scolaires, j'ai rencontré une fille qui faisait la même chose que moi, mais qui elle, prévenait des dangers et de la cruauté de l'homophobie et du racisme. Le concept m'a plu. J'ai rejoint le mouvement. Prévenir pour ne pas avoir à guérir. Je trouvais l'idée plutôt bonne.

Quand vous vous vous retrouvez face à une bande de lascards qui sont morts de rire, avant même de rentrer dans la salle, en s'imaginant la follasse et la gouine qui vont leur apprendre à ouvrir leurs esprits, j'aime autant vous dire que c'est pas gagné d'avance. N'allez pas croire tout de même qu'on est jetés dans le grand bain sans armes, ni armure, on est formés et fin prêts. On a dans notre besace tout un tas de réponses toutes faites, prêtes à surgir en cas de questions débiles ou pointues. Les questions, elles viennent après notre petit discours et c'est le moment que je préfère, pardonnez ma soif de torture... Pardonnez-moi aussi ma familiarité, parce que, il me parait plus simple de vous tutoyer (on se connait un peu maintenant, je me permets).

- Dis Madame (j'adore quand ils m'appellent Madame...), pourquoi t'es devenue lesbienne ?
- Hum, je crois que je l'ai toujours été...
- T'as jamais....
- Non, j'ai jamais...
- Et toi, m'sieur ?
- Non plus.

Là, si tu es prof, tu as compris comment rétablir le silence dans une salle, où ont été réunies trois classes de trente élèves... Ca finit tout de même par chuchoter dans le fond...

- Et vous faites comment entre filles pour niquer ?
- Pour faire l'amour, tu veux sans doute dire ?
- Ouais.
- On fait. Tout va bien.

Là, tu sens un observatoire déconfit, terriblement déçu de n'avoir pu passer outre le contrôle parental sur les chaines du câble.

- Dis Madame, à quel âge t'as eu ta première copine ?
- Ma première copine, je devais avoir trois ans, ma première petite amie quatorze.
- Quatorze ????

Là, tu sens un léger malaise s'emparer de l'assemblée, dont c'est l'âge moyen.

- Mais comment tu l'as rencontrée ?
- En colo.
- Rhôôôô et vous avez dansé ensemble et tout ça ?
- Non, nous sommes restées très discrètes, nous avions peur de finir lapidées !
- Ca veut dire quoi "lapidées" M'dame ?
- Ca veut dire massacrer quelqu'un en le visant avec des pierres.

Là, tu as toujours une âme sensible qui trouve ça super violent et pas du tout approprié, surtout que sa mère lui a dit qu'on relâchait des salauds qui avaient pas purgé la peine de prison adéquate à leur crime. Donc, tu ne t'emballes pas, tu ne pars pas dans une diatribe sur les conditions d'incarcération, tu restes dans le sujet.

- Certains pays punissent encore l'homosexualité de lapidation.
- Sérieux ?
- Oui.
- Moi, ça m'excite deux meufs ensemble !
- Je suis ravie de contribuer à la construction de tes fantasmes.

Et là, tu l'as mouché le petit con, je peux te le garantir. Mais bon, tu ne lui en veux pas, parce qu'au passage, t'as noyé deux ou trois réflexions embarrassantes. C'est pour ça qu'on t'a bien expliqué que c'était de la prévention.

- M'sieur tu te fais enculer ?

Le rire général est inévitable. Le rire moqueur, le rire gêné, le rire haineux, c'est un peu brouillon, tu ne sais pas vraiment lequel l'emporte. Mon homologue masculin y est heureusement préparé. Je sens malgré tout qu'à chaque fois, cette question l'emmerde profondément.

- Oui.

Là, tu sens qu'ils voudraient bien en avoir plus, que c'est un peu court comme réponse. Mais personne n'ose développer, par peur de passer pour un pervers, le plus souvent.

- M'dame, t'as une copine ?
- Oui, j'ai une compagne.
- Warfff c'est un truc de vieux "compagne" !
- Ta mère, elle dit quoi quand elle parle de ton père, que c'est "son compagnon", "son mari", "son petit ami" ?
- Elle dit "l'aut' con".

Là, je t'ai montré que c'est super facile de tomber dans le piège, de t'envoyer dans la tombe à peine sortiE de l'oeuf. C'est la règle, la première qu'on te met dans le crâne : ne jamais répondre à une question par une question.

Non, là, il fallait dire.

- Oui, je ne peux pas dire qu'elle est ma petite amie, parce que nous vivons ensemble, en famille et je ne peux pas non plus dire qu'elle est ma femme, parce que nous n'avons pas le droit de nous marier. Donc, par élimination, elle est ma compagne.
- T'as pas le droit de te marier ?
- Non, la loi ne me l'autorise pas.

Là, tu pourras distinguer, portés par le brouhaha jusqu'à tes oreilles : un "c'est nul", un "putain", un "encore heureux" et un "ta mère la pute", d'une élégance rare.

- Il y a d'autres questions ?
- Ouais, m'dame.

Là, tu la vois bien la gamine qui n'est pas bien dans sa peau. Tu l'imagines se tortiller les orteils dans ses chaussettes. Tu vois qu'elle n'en mène pas large et que sa question, ça fait une heure qu'elle fait son chemin dans sa petite tête. Tu sens le malaise. Tu sais que cette gamine là, c'est la seule de ce foyer pourri (les notres étaient vachement mieux, y avait des tables, un piano, un distributeur de boissons...) qui a réellement besoin de toi.

- Je t'écoute.
- Comment tu sais que t'es... homosexuel ?
- Je l'ai su au premier baiser, Ludovic, qui est assis à côté de moi, c'est quand son cerveau le lui a dit. On peut tous avoir une réaction et une approche différente. Comme n'importe qui, parce que nous sommes n'importe qui. Mais on le sait un jour, on finit toujours par le savoir, il faut juste écouter son coeur.

Là, la gamine, elle est tout sourire. Elle sait juste que ça viendra, que c'est tranquille. Elle se dit même que, grâce à nous, ce sera peut être plus simple et son âge l'autorise à y croire.

J'ai été arrêté le 13 mai 1988 pour attentat à la pudeur sur la voie publique et comportement aliéné parce que j'embrassais ma petite amie sur le trottoir. Certes, c'était un baiser fougueux et langoureux. J'ai été "condamnée" à un an de suivi psychiatrique, qui n'a rien donné, si ce n'est confirmé, qu'en effet, j'étais attirée par les femmes. Le 4 août 1982, l'homosexualité était dépénalisée, le 17 mai 1990, l'OMS la retire de la liste des maladies mentales. On a fait une chouille d'enfer.

Alors, non, je ne me considère pas comme une porte-drapeau, oui, je n'ai jamais couché avec un homme. Pour autant je les aime tendrement, comme j'aime tous les gens biens. Je ne voudrais surtout pas qu'on me croit propagandiste ou Mère Théresa de la Sainte Pédégouine.

Dans quelques jours se tiendra la journée mondiale contre l'homophobie. Le 17 mai.

11 commentaires:

H a dit…

Olalalala, la dame, elle a jamais embrassé de garçon...
Il est tout mignon ton texte. Mais ton expérience associative ne s'arrête pas là, il me semble?

MaB a dit…

En effet, mais je ne vais pas tout raconter non plus ;-)
Bonne journée la miss !

ZeStE a dit…

eh eh... j'aurais bien aimé, moi, que quelqu'un vienne dans mon collège expliquer tout ça!! mais je ne pense pas que j'aurais osé poser de question... j'aurais fait "bahhhhh!!! une lesbienneeeee!!!" comme mes potes de l'époque. Mais j'aurais écouté tout ça avec envie d'en savoir encore, encore, et encore plus... C'est bien, pour les ados, qu'il y ait des gens capables de faire ça. Respect.

Anonyme a dit…

Moi j'ai jamais eu de personnes qui sont venus me voir au collège ou lycée pour nous "expliquer" l'homosexualité, par contre pour la drogue, le sida etc ça oui et toutes les années. d'ailleurs je les remercie tous et toutes.
Parce que expliquer tout ça à des minots en rut ce n'est pas facile tous les jours !!
D'ailleurs j'avais l'impression que ça gênait plus les mecs que les filles quand c'était le l'heure de nous faire une démonstration de préservatif. Hihihihihi.
Sinon un grand MERCI au personnes comme toi qui nous explique (oui je le redis encore)la vie.

Zezette-la-blonde

Anonyme a dit…

Eh, MaB, tu sais que je t'aime?
Et puis au passage, en dehors des salles de classe, vivre sa vie bien peinard sans se planquer, comme vous le faites si bien (comme nous le faisons si bien), c'est éducatif et préventif tout autant.
Allez, le'haïm!

MaB a dit…

Zeste : Beaucoup n'ose pas poser de question et pourtant, on voit bien qu'ils écoutent avec attention. C'est le principal. Et franchement, c'est vraiment pas compliqué... ;-)

Ma zezette : Voui, j'aurais peut être pu passer par ton lycée avant de devenir ta collègue préférée :-) Mais avec toi, la prévention n'est pas vraiment nécessaire, t'as déjà très bien pigé qu'on pouvait vivre en harmonie quelles que soient nos différences...

L'Emmerdeuse : le'haïm ! voilà une réponse comme je les aime hic hips houps :-P

Mylène (MyLzz59) a dit…

Après un refus du rectorat de l'académie de Metz Nancy, l'Association "Couleurs Gaies", qui souhaitait obtenir l'agrément pour effectuer des interventions en milieu scolaire pour la prévention de l'homophobie, a dû saisir la HALDE. Ce refus ne date pourtant que de ..2005 !

En Février dernier, la Cour d'Appel de Nancy a décidé d'annuler le refus du rectorat, lui demandant de réviser avec plus d'équité et moins de discrimination son jugement. (source CLF/LM)

Comme quoi, même de nos jours, rien n'est à considérer comme définitivement acquis, malgré de nettes avancées ces dernières années. La vigilence reste de mise..

-MyLzz59-

MaB a dit…

Bien entendu que rien n'est acquis, c'est pour ça que certainEs tentent d'apporter leur "petite contribution". Mais je ne lutte pas, j'essaye de construire...

Anonyme a dit…

salut, je m'ballade, je lis, de-ci de-là... et là, tu m'as touchée. simplicité, sincérité, efficacité (j'ai pasdis productivité!!) je ne sais pas ce que j'aurai fait si je t'avais eu en séance au collège, mais je pense que tu/vous avez du faire avancer pas mal de petits chevaux au trot dans la tête de nombreuses(x) mômes.
ton billet, il est doux. merci

MaB a dit…

bah merci Madukid.. et j'espère que tu reviendras te balader de temps à autre...

Anonyme a dit…

c'est encore d'actualité ton post, si je m'en réfère aux com sur le post de Zeste d'aujourd'hui...
ok j'ai pas dit que j'avais des leçons à donner de ce côté là (non plutôt à recevoir d'ailleurs... il est où ce putain de téléphone...) j'ai trouvé le paralèle plutôt saisissant étant passée sur to post il y a peu
;-)