vendredi 18 avril 2008

Il est mort le poète...

Depuis petite, je me suis intéressée aux cultures afro-antillaises. Comme ça, sans savoir vraiment pourquoi...la littérature, la musique, la gastronomie, l'histoire...et même la langue (à force d'avoir écouté radio tropical, j'étais même capable à une époque de suivre une conversation en créole, c'est dire !).

Puis, avec l'âge et le temps, j'ai découvert ce vieux concept né dans les années 30, la négritude. Qu'est-ce qu'être noir ? Qu'est-ce qu'être opprimé ?
J'ai pris conscience de l'oppression culturelle du système colonial, et surtout de l'européano-centrisme latent dans les analyses du monde (c'est-à-dire l'histoire de l'humanité vue dans le prisme du nombril de la vieille Europe...ne vous vexez pas, lectrices et lecteurs, si je définis ce terme, le sujet est suffisamment délicat pour être précisé).
Un vrai choc. Je suis alors partie en lutte contre toutes ces analyses à l'emporte pièce sur le mythe du bon sauvage, de l'objet culturel à la politique.
J'ai aussi fait des rencontres très enrichissantes. Pour ne citer qu'elle, ma professeurE d'histoire-géographie de Terminale, en tiers-mondiste de la première heure, m'a ouvert les yeux sur le côté colonialiste de cet enseignement, en particulier à propos de l'Afrique. Je ne parle même pas des Antilles. J'écoutais du reggae africain à longueur de journée (Ismael Isaac, Tiken Jah Fakoly, Larry Cheickh...), je militais dans une assoc' pour aider à implanter des écoles au Burkina Faso, je mangeais du poulet mafé avec délectation (encore aujourd'hui d'ailleurs !)... alter-mondialiste avant l'heure en quelque-sorte (même si l'alter-mondialisme ne se résume pas au reggae, au mafé et à l'Afrique... qu'on ne se méprenne pas).

Les lourds enseignements de l'hypokhâgne m'ont tout de même laissé le temps de découvrir ça et là, Léopold Sedar Senghor, Mongo Beti, Patrick Chamoiseau ou Aimé Césaire.
Au même moment, l'arbre généalogique familial a laissé apparaître un lien avec l'Afrique... mon arrière-grand-mère était métisse, issue de l'esclavage de ses grands-parents (on ne saura jamais si son patronyme vient du nom du négrier, l'homme, du négrier, le bateau, ou du maître, les archives ne sont pas disponibles)... je me suis sentie beaucoup mieux, plus légère, comme si cette nouvelle légitimait mes goûts.

Mais bon...comme disait Nougaro,
Armstrong, je ne suis pas noir,
Je suis blanc de peau
Quand on veut chanter l'espoir
Quel manque de pot

je ne suis pas noire, donc,
même si mes cheveux sont entre le crêpu et le bouclé et que mon nez est quelque peu épaté (ces traits physiques m'ont d'ailleurs vallu de bonnes parties de rigolade en soirée...lorsqu'un gars, lourd au possible, a tenté de me draguer en créole, en me félicitant de represent les West Indies).

Aimé Césaire, dont j'ai lu surtout les poèmes et les essais politiques, représente la fierté du peuple martiniquais et de l'ensemble des Antilles, mais aussi des pays sous le joug de la colonisation, économique et/ou culturelle.

Il a cassé sa pipe hier.

Les Antilles pleurent. J'ai versé moi aussi ma petite larme... j'étais très émotive hier, sans doute à cause de la fatigue nerveuse !
La métropole lance des hommages du bout des lèvres... on parle du Panthéon...
Comment peut-on proposer le Panthéon (même si c'est un grand honneur...aux grands hommes, la patrie reconnaissante...blablabla) au chantre de la négritude, à celui qui a toujours lutté contre cette domination écrasante de la métropole sur ses DOM et ses TOM (anciennement Empire colonial), à celui qui a toujours refusé les honneurs de la République, comme entrer à l'Académie Française avec son pote Senghor, ou recevoir Naboléon dans sa commune depuis le discours de Dakar (il a finalement accepté, malgré ses réticences) ?
Il ira rejoindre Alexandre Dumas, qui en son temps, fût traité de "nègre qui pue".
Je ne signerai pas cette pétition lancée par la gauche française. Peut-être que j'ai mal compris, mais ça n'est pas l'impression que j'ai lorsque je lis Césaire...son œuvre, sa sensibilité, sa pensée... à l'opposé de ce que représente le Panthéon.


Je finirais par ce poème d'Aimé Césaire :

Prophétie


où l'aventure garde les yeux clairs
là où les femmes rayonnent de langage
là où la mort est belle dans la main comme un oiseau
saison de lait
là où le souterrain cueille de sa propre génuflexion un luxe
de prunelles plus violent que des chenilles
là où la merveille agile fait flèche et feu de tout bois

là où la nuit vigoureuse saigne une vitesse de purs végétaux

là où les abeilles des étoiles piquent le ciel d'une ruche
plus ardente que la nuit
là où le bruit de mes talons remplit l'espace et lève
à rebours la face du temps
là où l'arc-en-ciel de ma parole est chargé d'unir demain
à l'espoir et l'infant à la reine,

d'avoir injurié mes maîtres mordu les soldats du sultan
d'avoir gémi dans le désert
d'avoir crié vers mes gardiens
d'avoir supplié les chacals et les hyènes pasteurs de caravanes

je regarde
la fumée se précipite en cheval sauvage sur le devant
de la scène ourle un instant la lave
de sa fragile queue de paon puis se déchirant
la chemise s'ouvre d'un coup la poitrine et
je la regarde en îles britanniques en îlots
en rochers déchiquetés se fondre
peu à peu dans la mer lucide de l'air
où baignent prophétiques
ma gueule
ma révolte
mon nom.

5 commentaires:

MaB a dit…

aaaaaaaaaaaaaaaah
je t'aime !

Mylène (MyLzz59) a dit…

Avez-vous remarqué que, comme il zappe les caractères accentués, le rappel des commentaires (à droite) a écrit "il est mort le pote" ;-)
Slts L, G, B, T, I, & H !!
-MyLzz59-

Kanou a dit…

Merci MyLzz d'avoir noté ça !!
C'est pas du tout fait exprès...mais c'est fort !

Anonyme a dit…

;-)
-MyLzz59-

Leïla a dit…

Il est bien beau, ton hommage ... je ne me suis pas foulée, et j'ai honte ... pour un si un grand homme !